CITATIONS

"On voyage pour changer, non de lieu, mais d'idées." Hippolyte Taine

"Voyager, c'est demander d'un coup à la distance ce que le temps ne pourrait nous donner que peu à peu." Paul Morand


vendredi 23 octobre 2015

12) Dans les montagnes du Yunnan (2/2)

Cet article couvre la période du 17 au 29 septembre 2015.

Sur la route du thé à Shaxi

Jusque dans les années soixante, des caravanes chargées de thé en provenance d’Inde empruntaient la vallée de Shaxi sur leur route vers le Nord. Aujourd’hui c’est (encore) un petit village charmant avec des ruelles constituées de maisons anciennes autour de la place centrale et de sa scène de théâtre en plein air. Pourtant, l’invasion touristique toujours exponentielle en Chine, est annoncée pour bientôt comme en témoignent les nombreux chantiers de « nouvelles maisons anciennes » vouées à l’hébergement et à la restauration des visiteurs. Nous ne serions pas surpris que l’entrée du bourg de Shaxi devienne rapidement payante (voir l’exemple de Lijiang développé plus bas).

Une vingtaine de kilomètres de marche dans la campagne environnante nous a permis de traverser de nombreux villages agricoles Naxi (l’ethnie du coin) et de visiter les grottes sculptées par des moines il y a 1300 ans à flanc de falaise dans la montagne Baoshan.

Le vendredi c’est jour de marché, Shaxi s’anime. Nous achetons quelques produits pour notre salade fraicheur du soir et nous goûtons les fameux « babas », sortes de galettes de pain de maïs. Assis quelques mètres à l’écart pour les déguster, c’est un véritable spectacle d’observer la scène qui se déroule sous nos yeux avec comme acteurs les Naxi en habits traditionnels, les vendeurs ambulants, les écoliers en pause, les personnes âgées qui discutent, un chanteur handicapé, … Dans la catégorie insolites : (i) un stand de serpents proposant des bouteilles d’élixir probablement concurrent du viagra, (ii) deux stands dentistes avec une mâchoire en plâtre, quelques dents à vendre à l’unité et des outils (on n’a pas bien compris l’offre) et (iii) un tas de têtes de cochons par terre dans le coin boucherie.

Enfin, n’en pouvant plus de ma tignasse de trois mois, je tente le coiffeur à 10 Yuans (1,40€) avec un peu de stress puisque le monsieur, qu’il a fallu réveiller de sa sieste dans la boutique d’à côté, ne parle pas anglais. Après quelques tentatives d’explication, je lui montre la photo de mon passeport et c’est parti ! Le résultat est satisfaisant, peu importe que le « salon » soit un peu sale et qu’il contienne, entre autres, des sabres et un énorme sac d’oignons.





















Habits traditionnels Naxi

Des fleurs qui se mangent

Du serpent pour la virilité







Lijiang et la Gorge du Saut du Tigre
Lijiang est le passage obligé pour les randonneurs qui souhaitent s’aventurer dans la Gorge du Saut du Tigre. C’est notre cas.

Mais avant ça, nous avons une demi-journée pour nous promener dans une ville que tous les backpackers rencontrés en sens inverse nous ont décrite avec la même alerte « c’est bondé, c’est cher et c'est fake ». Pourtant, huit millions de touristes majoritairement chinois s’y rendent chaque année ! En parcourant le dédale de ruelles de son immense quartier historique, certes très mignon et même agréable en dehors des artères principales, nous ne pouvons nous empêcher de penser à ce qui s’est passé à Lijiang.

Prenez une ville perchée à 2500 m d’altitude, située sur la route du thé, dont la vieille ville chargée d’histoire et de culture Naxi a été classée au patrimoine mondiale de l’UNESCO en 1997. Encouragez la vente des maisons anciennes de manière à vider le quartier de ses habitants historiques, remplacez-les par des entrepreneurs du tourisme qui vont y développer à grande vitesse des magasins de t-shirts, des restaurants et bars branchés et des hôtels de charme. Agrandissez le quartier en respectant vaguement l'architecture, construisez une tour d’observation visible de partout (permettant aux touristes de prendre des photos), nettoyez les ruelles et les canaux, diffusez un peu de musique si possible assez fort, fleurissez tout ça et faîtes payer l’entrée de la ville 12€. Voilà, vous obtenez un parc d’attraction qui a tous les ingrédients du succès en Chine au grand dam de l’UNESCO, impuissante face à cette dérive. En effet l'institution craint que la radiation du classement de la ville ne soit encore pire pour le patrimoine…

En tout cas, un commercial chinois rencontré plus tard dans le train pour Guangzhou et qui parlait quelques mots d’Anglais est catégorique : "I love Lijiang !". C'était la troisième fois qu'il y passait ses vacances...

Grâce au choix gagnant d’une guesthouse très accueillante située sur une colline en dehors de la vieille ville (Lucie a du nez pour ça), nous avons pu manger dans un restaurant familial typique, entrer dans la vieille ville comme les locaux, i.e. sans payer, et trouver un point de vue désert sur la ville et sur le massif du Dragon de Jade (sommet à 5596 m !). Anecdote : ce massif porte les neiges éternelles les plus au sud de l’hémisphère nord (normalement il faut une seconde et demi pour comprendre cette phrase).

Le lendemain nous partons de Lijiang à l’aube pour rejoindre en bus la ville de Qiaotou, point de départ de la randonnée mythique de la Gorge du Saut du Tigre que nous avons prévue de parcourir en deux jours. Sur une quinzaine de kilomètres, le fleuve Yangtsé se resserre et accélère sa course dans une vallée profonde séparant deux montagnes imposantes de plus de 5500 m d’altitude. Les pentes sont raides et la perspective donne l'impression parfois que le fleuve s’écoule entre deux murs verticaux de 3900 m de haut. Le Yangtsé gronde en bas au niveau de plusieurs zones de rapides à la puissance inouïe. Dans leur grande prudence, les guides et les guesthouse de Lijiang exagèrent parfois la difficulté du trek pour éviter de mettre en danger des personnes mal préparées. En effet, cette gorge a déjà connu des accidents dont certains ont été fatals.

Pour nous ça s’est bien passé même s’il était parfois difficile de regarder nos pieds dans les passages les plus vertigineux en raison du panorama qui nous aimantait le regard (les accidents ont probablement dû être aussi bêtes que ça). Nous avons fait route avec deux compagnons rencontrés au début du chemin : Y, jeune architecte israélien, et X, retraité flamand à la forme physique étonnante malgré un temps de récupération plus lent. Le premier jour, le sentier serpente entre 500 et 1000 mètres au-dessus de l’eau pour rejoindre les nombreux gîtes d’étapes situés dans les hameaux Naxi. Le deuxième jour c’est de la descente jusqu’au fameux rocher qu’un tigre aurait utilisé pour sauter le fleuve à l’endroit le plus étroit (25 m tout de même) pour échapper à un chasseur. Vue d’en bas, la vallée parait encore plus profonde et la puissance de l’écoulement de l'eau génère un bruit assourdissant qui nous fait nous sentir ridiculement petits et faibles. Le rocher (du tigre), sur lequel nous nous rendons grâce à un pont de cordes, bouge par secousses sous l’agression des milliers de mètres cube qui s’engouffrent chaque seconde dans ce toboggan déchaîné. Nous sommes restés presqu’une heure, bouche-bée devant cette manifestation de force de la nature, en compagnie de Y et d’une flasque d’alcool de riz.

Lijiang







Les neiges du Dragon de Jade

La Gorge du Saut du Tigre









Arc-en-ciel à l'arrivée du 1er jour





Sur le rocher du Tigre




Le lac Lugu, tranquillité aux confins du Yunnan

Après Lijiang, la plupart des voyageurs poursuivent l'aventure vers Shangri-La (3200 m d'altitude) qui ressemble, paraît-il, à un coin de paysage helvétique.
Une conjonction de raisons (la météo, le budget, la folie ?) nous a fait choisir le lac Lugu situé à 2700 m d'altitude, à cheval sur le Yunnan et le Sichuan. Le fait que la société des Mosuo, l'ethnie majoritaire du lac, soit basée sur un système matriarcal a également attisé notre curiosité.
Le mariage n'existe pas chez les Mosuo, les rapports amoureux sont libres et se déroulent dans le secret de la nuit (à partir de 13 ans chaque fille dispose d'une chambre avec accès direct). Chaque partenaire vit avec ses frères et sœurs et les enfants nés des visites nocturnes sont élevés par leur mère. Les hommes n'élèvent pas leurs enfants biologiques mais ceux de leurs sœurs. L'héritage est transmis par les filles.
Bien sûr nous ne sommes pas allés vérifier ces détails intimes mais nous avons lu que ces traditions perduraient encore aujourd'hui malgré les efforts du gouvernement chinois pour diffuser le modèle familial conjugal. Ce qui est certain c'est que l'isolement du lac Lugu a dû favoriser la préservation de ces modes de vie. Les villages Mosuo ont été alimentés en électricité il y a dix ans seulement. Et, pourtant situé à moins de 200 km de Lijiang, il nous a fallu presque 10h de route (ou plutôt de chemin) pour atteindre le lac avec des passages dans lesquels il vaut mieux ne pas regarder ce que fait le chauffeur qui semble expérimenté malgré sa petite vingtaine d'années.
Si les infrastructures touristiques existent autour du lac, la clientèle est plutôt rare et à 99,9 % chinoise. L'anglais perd de son intérêt même dans les hôtels et un seul restaurant dans le hameau de Lige a jugé utile de traduire son menu. C'est l'immersion la plus totale dans un cadre féérique et silencieux. Les scooters et les bateaux fonctionnent à l'électricité tandis que l'eau cristalline reflète le paysage montagneux.

C'est pourtant dans ce paradis isolé que nous avons rencontré les uniques français croisés en Chine : une famille de Marseillais voyageant en camping-car avec trois enfants, E (6 ans), L (4 ans) et M (2 ans). Sept ans après leur tour du monde à deux, les parents M et R se sont lancés dans http://www.untouracinq.com/.

Le Dragon de Jade depuis la route de Lugu

Le lac Lugu


Des femmes Mosuo


















L'émotion au moment de quitter la Chine

Lorsque nous avons pris nos billets d'avion au début de l'année 2015 nous avions dû définir des scénarios hypothétiques concernant les itinéraires intra-pays. Parfois on les a suivis, parfois non. Par exemple, notre vol pour quitter la Chine et rejoindre la Birmanie était au départ de Guangzhou soit plus de 2500 km de notre dernière destination dans le Yunnan.
Notre dernière expérience de la Chine fut donc celle du voyage en train puisque nous avons enchaîné un train de nuit pour Kunming et un train de 26h pour Guangzhou. Ce dernier tronçon nous l'avons fait dans un wagon de 3ème classe, i.e. 66 lits superposés de trois étages sans compartiment fermé. Nous étions probablement les seuls étrangers du train et, dans tous les cas, l'attraction du wagon. En plus des conversations amusées et des sourires bienveillants, nous avons été véritablement nourris par la famille du petit Bobby (YangJingRan en chinois) sans possibilité de refuser la moindre denrée.
Après un mois de septembre entier dans ce pays mystérieux qui nous faisait un peu peur, on se dit que finalement ce n'était pas si difficile. Nous en n'avons vu qu'une petite tranche, mais elle en valait vraiment la peine !









mercredi 14 octobre 2015

11) Dans les montagnes du Yunnan (1/2)

Cet article couvre la période du 5 au 16 septembre 2015.

La Chine est vaste comme l’Europe et, comme en Europe, 100km peuvent séparer des cultures (et des langues) très différentes. Pékin par rapport à Kunming (capitale du Yunnan) c’est un peu comme Madrid par rapport à Varsovie, il y a quelques dissemblances.

La province du Yunnan elle-même se caractérise par sa diversité ethnique puisque 50% des minorités de la Chine y vivent.

Pour situer, son territoire est aussi grand que l'Allemagne et touche le Vietnam, le Laos, la Birmanie et quatre provinces (ou régions) chinoises, dont le Tibet et Sichuan.




Kunming

La capitale du Yunnan est surnommée « la ville du printemps éternel » grâce à un ensoleillement généreux, à des températures agréablement tempérées par l’altitude (1900 m environ) et à une végétation continuellement en fleur. Il s’agissait pour nous plus d’un point de départ qu’un objectif en soi mais la perspective de se rafraîchir après l’épisode Pékinois dans une ville fleurie le temps d’obtenir notre visa pour la Birmanie ressemblait à un scénario tout à fait acceptable. Pourtant, n’y allons pas par quatre chemins, il a plu tous les jours et parfois tout le jour… Nous avons même eu froid à un moment !

Bien qu’impatients de découvrir la province et de quitter la ville et la pluie, Kunming nous a tout de même offert de belles surprises comme le temple Yutong, le quartier historique et très vivant de Guandu et les balcons vertigineux de la porte du Dragon sur le lac Dian.

On se déplace en métro et en bus avec une aisance croissante, on obtient notre visa birman en 24h et je parviens même, malgré quelques difficultés, à trouver des chaussures de randonnée de qualité et à ma taille (souvent ça s’arrête au 37) pour remplacer mes fidèles Quechua arrivées en bout de course.

Premières expériences culinaires du Yunnan aussi, ça pique mais c’est très bon !!!








Les rizières millénaires de Yuanyang

Depuis Kunming c’est 7h de bus et 1h de minibus pour rejoindre le hameau de Duoyishu au cœur du territoire des Hani, surnommés les « sculpteurs de montagne », qui cohabitent avec les Yi. Pendant deux jours, nous jouons une partie de cache-cache avec les nuages et les nappes de brouillard pour profiter pleinement du paysage époustouflant formé par ces montagnes entièrement façonnées par l’homme, et capturer les meilleurs clichés. D’un jaune vif, le riz situé à une altitude de 1500m est proche de la récolte tandis qu’en haut il est vert éclatant. Les rizières en terrasse existent dans de nombreuses régions d’Asie mais les terrasses de Yuanyang doivent leur classement au patrimoine mondial de l’UNESCO à leur taille de plus de 16000 hectares, à leur histoire longue de 1300 ans, et à la préservation de modes de vie locaux parfaitement adaptés à l'environnement.

Nous avons multiplié les balades recommandées par notre hôte à travers les rizières et les villages typiques sans se lasser du tableau que la lumière et les nuages transforment à chaque instant.

Malheureusement, la majeure partie de nos photos sont actuellement coincées sur une carte SD devenue illisible. En attendant l’opération à cœur ouvert qui nous permettra de les récupérer nous ne disposons que de quelques clichés rescapés de cet odieux complot :








Dali la détente

Avant de mettre le cap au nord du Yunnan, nous passons quelques jours dans la petite ville de Dali (altitude 2000 m). Aujourd’hui le tourisme chinois s’est emparé de sa vieille ville et du rivage de son lac. Pourtant, une ambiance « baba cool » semble héritée de l’époque où les seuls visiteurs de Dali étaient quelques hippies occidentaux en quête de voyage intérieur.

L’ethnie la plus représentée à Dali et dans les alentours est le peuple Bai. Nous n’hésitons pas à faire une heure de bus pour visiter le marché Bai de Shaping qui nous a réjoui car authentique, contrairement à certains « spectacles pour touristes ».

Sur le plan sportif on s’est contenté d’une après-midi vélo au bord du lac Erhai car le sommet Cangshan (4122 m) que l’on aurait pu envisager de gravir a décidé de rester dans les nuages. Cela nous allait pas mal aussi de nous préserver pour les randonnées à venir.

Le clou du passage à Dali fut sans conteste le cours de cuisine avec notre professeure Luxi (qui a immédiatement retenu le prénom de Lucie !), l’objectif étant la réalisation de raviolis chinois fait maison de A à Z. A 10h nous retrouvons notre prof et les trois autres élèves au marché de Dali pour acheter les ingrédients et bénéficier de nombreuses explications sur ce qui se trouve sur les étals (plusieurs légumes du Yunnan sont inconnus même pour des chinois d’autres provinces). De retour à l’atelier on passe à la réalisation de la pâte et à la préparation des deux farces (avec et sans viande). Puis on fait preuve d’une certaine dextérité pour la confection des raviolis en « demi-lune » que l’on fait ensuite cuire de trois manières différentes (à la vapeur, à la poêle et à l’eau). Il ne reste plus qu’à effectuer le mélange homéopathique de sauce soja, vinaigre, huile de sésame et piment pour déguster le fruit de notre travail (environ 3h de boulot).

En plus des conseils pour la recette, on se sera informé sur les spécificités des quatre grands groupes de cuisines chinoises : du Nord, du Sichuan, du Yunnan, et celle qui s’est le plus exportée à l’étranger, la cuisine Cantonaise.





De la couenne qui sèche à la fenêtre