Cet article couvre la période du 30 septembre au 20 octobre 2015.
A la veille de quitter le Myanmar, quand je fais le point sur mes
sentiments, « ambivalence » est le mot qui me vient.
D'abord, si on réfléchit un peu à l’impact de notre venue avant même de
mettre les pieds sur le territoire, on ne peut pas être entièrement à l'aise.
Même s'il est difficile d’appréhender pleinement la situation politique du
pays, on est forcément partagé lorsqu’on réalise qu’en voyageant au Myanmar on
finance en partie un gouvernement militaire au régime brutal qui, par exemple, utilise
le travail forcé et persécute certaines de ses minorités ethniques. D'un autre
côté, participer à l'ouverture du pays sur le monde, montrer aux habitants
qu'on s'intéresse à eux et dépenser nos euros dans les petits commerces familiaux
contre un repas ou un logement, apporte le sentiment égoïstement gratifiant du
voyageur occidental en pays pauvre.
Ensuite, visiter la Birmanie 4 ans après l’ouverture des frontières, c’est
comme aller voir le film de l’année 6 mois après tout le monde. C’est prendre
le risque de se faire de fausses représentations de ce qui nous attend, voire
même d’être déçus si l’expérience vécue ne correspond pas aux récits entendus.
Il faut dire que dans notre cas, on a accumulé les mésaventures dès le premier
jour, ce qui ne nous a pas permis de partir du bon pied... En effet, ma naïveté
s’est vite heurtée à des personnes malhonnêtes, coup sur coup, dès notre
arrivée à Yangon. Rien de dramatique en soit, on s’en sortira indemnes. En
apparence du moins, car il nous faudra rencontrer un certain nombre de
personnes réellement désintéressées avant de faire à nouveau confiance à ce
peuple pourtant si naturellement gentil, souriant et aidant.
Soyons honnêtes avec nous-mêmes, influencés par les avis tous positifs sur la Birmanie, nous nous sommes probablement insuffisamment préparés à voyager dans un pays aussi pauvre, aussi corrompu (176e sur 178 au niveau mondial), et dont la situation socio-éducative est si catastrophique. Mais est-il vraiment possible de s'y préparer ?
Aujourd’hui je suis pourtant très heureuse d’avoir pu vivre cette expérience birmane, d'avoir surmonté les premières désillusions et ouvert les yeux sur les trésors culturels, archéologiques et humains de ce pays.
Yangon : mais que se passe-t-il ?
Après nos déconvenues du début, on trouve un immense réconfort à la
Shwedagon Pagoda. Difficile de retranscrire l’ambiance qui y règne, mais à
peine déchaussés (ah oui, il faudra s’habituer à marcher pieds nus pendant 3
semaines !), on ressent une atmosphère de sérénité malgré les nombreux pèlerins
et touristes autour de nous. Le soleil franc et le ciel bleu de l’après-midi rendent
le stupa central recouvert de 37 tonnes d'or des plus photogéniques, tandis que
la lumière du soir nous offre un autre spectacle tout aussi superbe.
Difficile de quitter ce lieu paisible et de retrouver la ville bruyante et constamment
embouteillée ! On prendra quand même plaisir à déambuler dans les rues, nous
noyer dans la foule, et commencer à observer les habitants comme j'adore le faire
en arrivant dans un nouveau pays.
D'après notre cher Lonely Planet, on n'a pas vu le vrai Yangon si on
n'a pas pris le train circulaire, sorte de RER local qui traverse les banlieues
de la ville en une boucle de 3h. On se lance donc dans l'aventure, d'autant que
la prise de risque est modérée, le ticket coutant 0.70€... A peine montés, le
spectacle commence, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du wagon. Les Yangonites
montent et descendent du train en sautant car celui-ci ne marque pas d'arrêt
aux gares (l’absence de portes et de fenêtres facilite la manœuvre). On
admirera particulièrement l’habileté de ceux qui chargent et déchargent en
roulant, de gros paniers remplis de fruits et légumes pour les vendre au marché
de la gare suivante ! L'envers du décor en revanche est moins cocasse, ce sera
le premier aperçu de la pauvreté du pays, la misère urbaine étant peut-être la
plus désolante.

Bagan hors du temps
Premier trajet en bus de nuit, première surprise (et pas la dernière, cf
paragraphe dédié). Déposés à 3h45 du matin au lieu de 6h, à 6km de l'endroit
prévu. Une façon habile de faire marcher les affaires des taxis qui nous
attendent de pied ferme pour nous amener à destination pour une somme presque équivalente
aux 9h de bus. C'est du moins la proposition qu’ils nous ont faite avant de
savoir qu'il ne fallait pas prendre Matthieu pour un pigeon à 4h du matin !
Réveillant le personnel de la guesthouse pour y déposer nos bagages, on part
sur notre e-bike loué pour la journée (dire "scooter électrique"
serait un peu présomptueux), pour admirer le lever de soleil sur la plaine de Bagan.
C'est l'ancienne capitale du premier empire Birman du IXe au XIIIe siècle,
et aujourd'hui un site archéologique exceptionnel de 50 km2. On y trouve plus
de 2000 temples plus ou moins imposants, et plus ou moins restaurés (restauration
parfois "sauvage" qui aura d'ailleurs valu le refus de l'UNESCO de
classer le site au patrimoine mondial).
Les trois jours passés à Bagan à sillonner la plaine au petit bonheur la chance
pour découvrir les temples perdus et chercher les meilleurs spots pour le coucher du soleil (et surtout
les moins fréquentés) seront vraiment exceptionnels. Un cadre plutôt sympa pour fêter mes
28 printemps !
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Tanaka birman anti-UV, anti-vieillissement et anti-moustique (concurrent direct de Nivea !) |
Mrauk-U “off the beaten
track”
Pour sortir des sentiers battus, on décide d'aller voir ce qui se passe du côté
de Mrauk-U, inaccessible par la route pour les étrangers jusqu'à il y a quelques
mois. Vingt horribles heures de bus plus
tard (et je pèse mes mots), on rejoint l'ancienne capitale du royaume d'Arakan,
région frontalière du Bangladesh plus connue aujourd'hui comme le théâtre des
persécutions et des massacres de la minorité musulmane des Rohingya par des
moines bouddhistes extrémistes..
C'est à Mrauk-U qu'on mettra un pied dans la Birmanie vierge de tourisme, pas
la Birmanie où l’explosion du nombre de visiteurs étrangers engendre des
comportements de mendicité même de la part d’enfants hauts comme trois pommes. Mais
c’est également là où l'extrême pauvreté fait encore plus mal au cœur. Il me
faudra quelques jours pour apprivoiser mes sentiments face au spectacle de
profonde misère, exacerbée par les récentes inondations ayant dévasté les
cabanes en bambou, dans cette région de deltas où les pluies de mousson peuvent
être redoutables (comme on a pu en faire l’expérience !).
L'absence de touristes rend le lieu terriblement authentique, et, en plus
des temples incroyables qu'on a pu explorer en toute tranquillité et sans
vendeur ambulant, on manque de provoquer des accidents de deux-roues à chaque
coin de rue, tant les gens, étonnés de notre présence, nous fixent jusqu’à se
tordre le cou en oubliant de regarder devant eux. On garde également en mémoire
les dizaines de sourires d’enfants en uniforme d'écolier.
L'expérience sera sublimée par la gentillesse de nos hôtes et les talents de
cuisinière de la patronne qui nous a fait découvrir des dizaines de produits inconnus (mes papilles s'en souviennent encore !).
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Bus scolaire |
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Distribution de stylos dans une classe de primaire |
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Ici, la moustiquaire est ton amie |
De Kalaw à Inle : vous reprendrez bien un petit peu de pluie ?
Avant de retrouver le chemin du tourisme, il nous faut affronter une
nouvelle épopée en bus. Jetés dehors à 3h30 du matin (acharnement ?) au
croisement de deux routes non éclairées en rase campagne, ce sont cette fois ci
des moto-taxis qui nous attendent (mais que faisaient ils là à cette heure-ci ?).
Ils nous emmènent, nous et nos gros sacs, la truffe au vent dans la fraicheur
de la nuit, à Meiktila, la ville la plus proche, pour trouver un minivan prêt à
nous conduire à Kalaw dans l'Etat de Shan, paradis des randonneurs.
Arrivés à Kalaw, on apprécie surtout la fraicheur qui y règne après l'étouffante
chaleur humide de Mrauk-U. Enfin, c'était avant de savoir qu'on allait même
retrouver la désagréable sensation de froid qu'on n'avait plus ressentie depuis
les montagnes du Yunnan. C'est en effet sous une pluie froide et continue qu'on
fera l'aller-retour en moto jusqu'à la grotte sacrée de Pindaya et le fameux trek de 2 jours conduisant au bien-connu lac Inle.
Même si le premier jour, marcher dans la boue nous amuse (ou plutôt patauger
ou glisser), la pluie glaçante et les hésitations de notre guide Chocho, 22
ans, novice en la matière, rendent la fin du parcours un peu plus chaotique
(peut-être en partie à cause des deux whiskys avalés en douce en cours de route
pour lutter contre le froid...). Il nous aura tout de même fait découvrir un
tas de choses sur la culture (et l'agriculture) de la tribu des Pa-O vivant
ici. On aura même l'occasion de parler avec lui des élections à venir (bien que
ce soit illégal de parler de politique). Lui, comme beaucoup de jeunes, est plutôt
confiant concernant la victoire du parti démocratique de Aung San Suu kyi sur
le gouvernement actuel. Pourtant, d'autres personnes souvent plus âgées, restent pessimistes sur
l'avenir et la liberté de leur pays, ce d’autant que les précédentes
élections aux résultats défavorables au gouvernement ont été invalidées. En
attendant les résultats du scrutin du 8 novembre, on croise les doigts pour que les
conditions de vie des birmans puissent s’améliorer d’une façon ou d’une autre.
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Grotte de Pindaya aux 9000 bouddhas |
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Chocho, notre guide |
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Pour les toilettes, c'est par ici... |
Lac Inle : retour sur les traces du tourisme
On l'aura bien mérité notre lac ! Bien préparés au spectacle pour touriste
auquel on allait assister, c'est plus sereins que nous abordons le lac et le
retour des sollicitations des vendeurs, taxis et « boatmans ». Parvenant
également à faire abstraction de la catastrophe écologique qu'il subit à cause
de sa surexploitation, on est scotchés par la beauté du site et le charme de
ses alentours.
Pour couronner le tout, le jour de notre arrivée débute le festival annuel
de Hpaung Daw U, et, après une journée à naviguer entre les jardins flottants,
les villages sur pilotis et les ateliers de tissage de lotus ou autres
démonstrations d'artisanat local (à visée commerciale mais pas inintéressant),
on assiste à la procession des bateaux de course qui concourront lors des trois
prochaines semaines. Une cinquantaine de rameurs au pied sur leurs pirogues colorées
défilent dans les canaux sous le regard des touristes qui se mélangent aux
habitants pour admirer le spectacle.
On s'autorise, pour le retour du soleil, une après-midi « wine tasting »
sur les hauteurs du lac, dans un des deux seuls vignobles du pays. En réalité
on appréciera plus la vue qu'offre le lieu que la qualité du vin, mais ce sera également
l'occasion de rencontrer L et P, un couple belgo-philippin, avec qui on partagera
une super journée à Kakku le surlendemain. A 70 km du lac, ce lieu sacré comme surgi
de nulle part rassemble plus de 2000 pagodons dont certains datent du XIIe siècle,
sur seulement 1 km carré. Avec le vent, le tintement des clochettes suspendues au sommet des
stupas rend l’endroit encore plus mystique.
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Des petits moines très concentrés.... |
Mandalay la dynamique
Dernière étape de notre séjour au Myanmar, nous n'avions pas d'attente particulière
pour cette ville où les deux-roues sont rois. On a pourtant été conquis par la
vue imprenable depuis Mandalay Hill, les dizaines de temples ignorés des
touristes sur les collines de Sagaing, la délicieuse et abondante streetfood, le
coucher de soleil sur le pont en teck de U-Bein et l'ambiance « urbaine »
qui commençait à nous manquer.
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Perdu sur une colline de Sagaing, une de nos plus belles rencontres |
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Myanmar football team! |
Le bus au Myanmar : pour le meilleur et pour le pire !
Acheter un ticket de bus ici, c'est comme prendre un billet de loterie, on
ne sait jamais si on va être gagnant ou perdant. Après la désillusion du trajet
pour Mrauk-U (j'aurais pu dire arnaque), pour lequel on nous avait pourtant
promis un bus très confortable avec climatisation et repas inclus, on croisait
les doigts à chaque fois jusqu'à voir de nos propres yeux à quoi ressemblerait
le véhicule dans lequel on passerait les 10 à 20 h suivantes. Finalement ce
sera la seule expérience à ce point catastrophique : 20 h de bus plein à craquer, sans
climatisation dans la chaleur humide de l'Ouest du pays, avec une allée remplie de sacs de feuilles de bananiers sur lesquels il fallait marcher avec les pieds boueux pour rejoindre sa place, conduit par un
chauffeur défoncé au betel et crachant ses poumons, sur une route de montagne traversée par des coulées de boue. Je ne m'étendrai pas sur la présence d'une mobylette
au fond du bus, ou le fragment de carrosserie perdu dans un virage...
Même si finalement, les autres bus ressemblaient plus à des autocars de
tourisme qu'à des camions de marchandises, je me pose encore cette question :
pourquoi diable s'obstinent-ils à faire arriver leurs bus avant 4h du matin ?
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No comment |