Après le succès du premier post rédigé par Lucie, à mon tour de tenir le stylo pour un article qui s'annonce riche.
Depuis deux semaines nous avons crapahuté autour du lac Baïkal, véritable monstre hydraulique représentant un cinquième des réserves mondiales d’eau douce non gelée, dont la surface est équivalente à celle de la Belgique, dont la profondeur maximale est égale à deux fois la hauteur du plus haut gratte-ciel du monde (Burj Khalifa à Dubaï), soit 1,6 km, et dont 60% des espèces animales sont endémiques. Et dire que tout ça est recouvert de trois mètres de glace en hiver !
La rencontre avec le bleu de ses eaux a eu lieu à Listvyanka, à 70 km d’Irkoutsk, au départ d’une première randonnée de trois jours en autonomie sur une portion de 30 km de la côte occidentale du lac qui nous a menés au village de Bolshiye Koty. Ce village est totalement inaccessible par véhicules terrestres. Le sentier longe la côte à flanc de montagne entre chaque plage dans un décor proche parfois de ce que l’on peut voir au bord de la Méditerranée. La différence c’est qu’ici l’eau dépasse rarement les 13°C et surtout, elle est potable ! Pour nous, c’est le test réussi de la condition physique (15 kg sur le dos), du matériel de bivouac et de notre capacité à jouer les Robinson Crusoé dans une nature sauvage et parfois capricieuse. Quand la satisfaction des besoins les plus élémentaires ne va plus de soi, chaque réalisation prend la forme d’une mini-victoire et on se surprend à profiter de plaisirs simples. Par exemple, alors que nous avions prévu un régime à base de nouilles, de pain et de pâté pour la rando, nous avons pu acheter à une mamie courbée par les années, des carottes, des cornichons, des tomates et des patates, qu’elle a scrupuleusement sélectionné dans son potager.
Petite parenthèse communication en russe. Cette dernière s’améliore chaque jour grâce aux nouveaux mots retenus, à nos progrès fulgurants en lecture (des caractères cyrilliques), et à mon oreille polonaise qui s’aiguise petit à petit sur les nuances sonores entre les deux langues. Heureusement ! Les anglophones étaient rares déjà à Moscou mais ici en Sibérie, c’est vraiment l’exception. Nous commençons toujours par un « Vy govorite po angliyski ? » plus doux pour la plupart de nos interlocuteurs qu’un « Do you speak english ? » qui donne l’impression que la langue anglaise est un dû universel dont le touriste étranger est le bénéficiaire. Ensuite la méthode est la suivante (elle s’arrête dès transmission du message, de plus en plus tôt heureusement) : 1) discours en russe, 2) tentative en polonais, 3) en anglais, 4) illustration à l’aide de notre livre de dessins utiles que nous a offert Charles (un ancien stagiaire reconnaissant), 5) gestes/mimes, 6) abandon ou retour au 1) selon l'importance du sujet. Je ferme la parenthèse.
Après la première rando, retour à Irkoutsk pour une courte nuit dans un appartement transformé en hostel avant le départ à l’aube dans une marshrutka (genre de minibus privé) pleine à craquer pour l’île d’Olkhon à 350km. Les 200 premiers km sont relativement corrects si on passe sur l’inconfort de l’assise et les vaches à éviter sur la route. Ensuite, la plaine verdoyante et les collines recouvertes de forêts laisseront place à des vallées désertiques, les églises à des totems shammaniques, et surtout, la route à de vagues chemins de poussières défoncés mettant à l’épreuve les amortisseurs du véhicule. Bref, nous mettrons 7h pour rejoindre Khuzir, le seul vrai village de l’île et point de départ de notre trek de 5 jours pour atteindre l’extrémité nord, le cap Khoboi.
Une fois Khuzir quittée, il n’y a plus de magasin pour acheter de la nourriture, nous partons donc chargés à la limite du supportable (probablement 18-19kg chacun) pour tenir 5 jours dans la nature à raison de 20 km par jour. La journée, nous apercevons sur LA "route" les camions russes de la marque UAZ chargés de touristes qui font le trajet sur la journée dans un nuage de poussière. Le soir et la nuit, nous sommes seuls avec les paysages magnifiques, le lac, les couchers de soleil, les vaches, et même les chevaux sauvages (dont le hennissement nocturne à 10 mètres de la tente peut surprendre). Le contraste est poussé à l’extrême en arrivant sur le rocher du cap Khoboi le 3ème jour. Plus de 10 bus garés à proximité et une centaine de touristes bruyants tentant les selfies les plus extravagants, voire dangereux (falaise à pic de 100m de haut). Le temps pour nous de trouvera un accès à l’eau pour recharger nos gourdes et nous laver, ce qui n’est pas une mince affaire vu la topographie de la zone, et nous voilà complètement seuls dans un décor de carte postale à l’heure où la lumière est la plus belle. C’est notre récompense ! Au total, sur 100 km aller-retour, nous aurons croisé moins de 10 randonneurs.
C’est sur un rafiot hors d’âge arrivé une heure en retard dans un nuage de fumée noire faisant penser à un incendie à bord que nous embarquons péniblement via une passerelle douteuse sur une plage sans ponton. Grâce à lui nous traversons en 3h les 100 km qui séparent Khuzir de Ust-Barguzin sur la côte orientale, en territoire bouriate. Le même trajet en marshrutka prend 23h minimum.
Ici pas d'infrastructures touristiques, pas de restaurants, pas de gare routière, donc pas de touristes. La ville est composée de rues ensablées perpendiculaires, de maisons en bois devant lesquelles il y a des tas de bois (dons de la scierie du coin qui se débarrasse de ses "déchets"), dans laquelle vivent des vrais gens. Il n'y a pas ou peu d'éclairage public. Cette introduction du lieu permet de comprendre comment une arrivée de nuit (car bateau en retard) sans avoir rien réservé se transforme en véritable défi pour les voyageurs au fil de l'eau que nous sommes. Heureusement, grâce à la gentillesse des passants rencontrés (qui quand ils n'ont pas l'information appellent volontiers un ami qui sait) nous avons trouvé l'unique hôtel, l'unique distributeur et l'unique supermarché. Dans les alentours, la taïga brûle littéralement à plusieurs endroits comme sur la péninsule où se situe le sommet Sviatoy Nos (le saint nez) que nous convoîtions. Nous avons appris que cette sécheresse et cette chaleur étaient exceptionnelles (2ème fois en 20 ans). Le feu a aussi pour effet de faire "sortir" les ours de leur tranquilité.. Nous avons donc décidé avec le garde forestier/tour opérator/hôtes/exploitant de banya, bref le Parrain du coin, Alexander Beketov, (chez qui nous avons séjourné) de visiter la vallée reculée de Barguzin avec un de ses chauffeurs bouriates. Promenade très sympathique dans des paysages totalement préservés où le nombre de charrettes et charrues à bœuf dépasse celui des voitures.
Enfin (car il devient urgent de conclure), nous avons passé trois jours à Ulan-Ude, capitale de la République de Bouriatie, avec au programme la plus grosse tête de Lénine, deux Datsans (temples bouddhistes), signes de la proximité des influences mongoles, un festival de folklore réunissant toutes les tribus anciennes de Sibérie, la rédaction du présent article et un peu de planification car demain nous prenons le train à nouveau pour la Mongolie où le voyage sans filet semble plus complexe.
Listvyanka-Bolshiye Koty










Île d'Olkhon











Ust-Barguzin et vallée de Barguzin







Ulan-Ude et alentours







